21/07/2022

Rupture du secret professionnel... oui c'est possible ! (Conseil d'Etat 4ème - 1ère chambres réunies, 05/07/2022, 448015)

  I. Les faits

Un enfant fait l’objet d’une information préoccupante auprès de la cellule départementale dédiée : la CRIP (cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes). Suite à cette information préoccupante, l’enfant est suivi par un psychiatre au sein d’un centre médico-psychologique pour enfants et adolescents. Ce psychiatre réalise un nouveau signalement à la CRIP alertant sur le comportement de la mère vis à vis de l’enfant.

   II. La procédure

La mère porte plainte devant le Conseil de l’Ordre des médecins contre le psychiatre qui a effectué le signalement. Les chambres disciplinaires de première instance et d’appel de l’ordre des médecins concerné rejettent la plainte de la mère. La mère se pourvoit en Conseil d’Etat qui confirme la position ordinale.

   III. Le secret médical

A. Le principe

« La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

En l’espèce, le médecin, dépositaire par profession des confidences de l’enfant, a révélé à la CRIP des éléments relevant de son intimité; ces éléments auraient été inconnus de lui sans la parole de l’enfant, son patient.

Le médecin a donc bien rompu le secret médical en réalisant le signalement à la CRIP.

B. Les exceptions.

« L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n'est pas applicable :  (…); 2° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République ou de la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'être, mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 226-3 du code de l'action sociale et des familles, les sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n'est pas nécessaire ;  (…).

Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi. »

En l’espèce, le médecin a saisi la CRIP, possibilité de saisine expressément prévue par le texte, suite à la constatation, dans l’exercice de sa profession, de sévices ou privations, physiques ou psychiques lui laissant à penser que des violences ont été commises sur l’enfant qu’il prend en charge. Etant mineur, le consentement de l’enfant n’a pas à être recherché.

Le signalement ayant été fait conformément au texte, la responsabilité du médecin ne devrait pas être recherchée.

C. L’exception aux exceptions.

Un signalement réalisé conformément aux préconisations de l’article L226-14 ne peut pas engager la responsabilité de son auteur, SAUF si ce signalement a été fait de mauvaise foi.

Mauvaise foi qu’il convient d’établir.

Tel a été le cas pour un pédiatre qui a appelé le 119 pour dénoncer mensongèrement des faits d’inceste d’un voisin avec lequel il était en conflit. Cette fausse dénonciation valut pour le médecin une interdiction d’exercer la médecine d’une durée de 1 an (Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins, 15 avril 2021, dossier n°14558). Gageons que cette situation soit rarissime…

En l’espèce, « le signalement adressé par le médecin à la CRIP sur le fondement de l'article 226-14 du code pénal procédait des constatations qu'il avait effectuées en recevant en consultation H... E... G... et sa mère et que le praticien avait agi de bonne foi afin de protéger l’enfant ». Que le médecin se soit trompé dans l’appréciation de la situation et que l’enquête consécutive au signalement n’aboutisse pas n’impactent pas le bienfondé de la réalisation du signalement par le médecin et, consécutivement, l’absence de mise en cause de sa responsabilité.

Pour aller plus loin, rappelons que

  • l’on ne peut signaler que les faits que l’on a personnellement vus, entendus, constatés (article 76 du code de déontologie médicale et article R.4127-76 du code de la santé publique) ) sous peine de sanctions notamment disciplinaires (Chambre Nationale disciplinaire de l’Ordre des médecins du 23/03/2021 dossier n°14191)
  • un signalement réalisé auprès d’un interlocuteur judiciaire autre que le Procureur ou la CRIP n’engage pas la responsabilité du médecin (Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 19/05/2021, 431352, Inédit au recueil Lebon)

 

En conclusion, de jurisprudence constante et réitérée, un signalement réalisé de bonne foi auprès du Procureur ou de la CRIP concernant une situation de maltraitance, constatée ou pour laquelle une présomption étayée existe, n’engage pas la responsabilité du médecin.

Alors, Chers médecins, soutenez vos patients, signalez ces situations, la Justice et votre Ordre professionnel vous soutiennent.

 

Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 05/07/2022, 448015

Rupture du secret professionnel... oui c'est possible ! (Conseil d'Etat 4ème - 1ère chambres réunies, 05/07/2022, 448015)